XXI : la qualité peut payer

Publié le par Yves Tradoff

Sorti au début de l’année 2008, XXI a été plébiscité tant par le public que par les professionnels de la presse. Assisté par son cofondateur, Laurent Beccaria, nous avons reconstitué les pièces du puzzle que forme cette revue hors-norme.

  Ovni

couv-xxi-52_copieLe 17 janvier 2008, un ovni éditorial traversait le ciel de la presse française annonçant l’ère d’une « information grand format ». En effet, la revue XXI cherche un « point d’équilibre entre la presse et l’édition » selon Laurent Beccaria, l’un de ses créateurs. Ainsi, son petit semblant de livre vient de son format, de la beauté des illustrations et de la typographie, de la taille des articles (30 feuillets) correspondant au rythme de la nouvelle, de l’absence de publicité et de sa vente en librairie. Cependant, si des écrivains y participent, ils sont priés de mettre leur talent au service du journalisme ! De plus, la revue est distribuée en parallèle comme un « objet de presse » dans 80 relais H.
Par sa formule hybride, XXI souhaite renrichir une « presse industrialisée dont le contenu s’est appauvri » alors que l’édition « est plus artisanale et créative. »

Cousinage

Selon Laurent Beccaria, XXI n’a aucun équivalent, que ce soit en France ou à l’étranger. Mieux, la revue « ne sera pas copiée car cela serait très difficile à réaliser » ajoute-t-il. Toutefois, il reconnaît l’existence de « cousinage » avec d’autres revues et constate que « l’aventure Granta n’est pas loin de celle de XXI. »
Fondée en 1889, cette revue américaine est reprise en 1979 par Bill Bufford . Sous son impulsion, Granta devient « un lieu dans lequel des écrivains et des journalistes, tous deux envoyés à travers le monde pour faire des reportages se rejoignent . » Pour Laurent Beccaria, « cette revue vendue en librairie était un vrai choc dans les années 80. » Montée jusqu’à 250 000 exemplaires, elle est désormais plus confidentielle, voire devenue « élitiste » pour le directeur des Arènes, pour qui ce cousinage est le plus important.

Post-internet

Quiconque veut faire de l’information doit désormais prendre en compte l’influence grandissante du net. S’appuyant sur une étude de l’institut Médiamétrie/NetRatings, le Figaro révélait ainsi le 2 février que pour la première fois, des opérateurs internet apparaissaient dans le podium des supports d’information généraliste sur Internet . Afin d’éviter cette nouvelle concurrence, figure dans la revue XXI « tout ce qu’on ne peut trouver sur le web c’est-à-dire de longues enquêtes, une beauté épurée et des bandes dessinées » affirme Laurent Beccaria . Plus encore, le modèle économique de la revue est à l’exact opposé de celui de la toile, car « la qualité a un coût d’environ 210 000 euros par numéro. Or, sur le net, il n’y a pas d’argent. » À ce titre, il n’hésite pas à proclamer XXI comme « l’un des premiers journaux post-internet. »

Auteurs

gens XXI est une revue qui intéresse les auteurs. « Lors du premier numéro, les auteurs étaient des gens que l’équipe de XXI connaissait soit directement soit indirectement. Aujourd’hui, le journal est fait à 90% par des auteurs que nous ne connaissions pas il y a un an et qui ont proposé des sujets » affirme Laurent Beccaria, car « n’importe qui peut venir tenter sa chance, le tri est naturel et les demandes nombreuses ». Par exemple, les journalistes, des free-lance aux plus confirmés, viennent d’horizons différents ( Figaro, Monde, Libération, etc.).

Il faut dire que les auteurs bénéficient d’avantages conséquents. Tout d’abord, ceux-ci ont une liberté d’écriture énorme. Mieux, à l’heure de l’essor du « journalisme bénévole » sur Internet, et de la précarisation croissante de ce marché du travail, la direction prend soin de rémunérer à leur juste valeur les travaux menés : 4000 euros plus les frais pour un reportage, 600 euros pour un dessin orignal, 7500 euros pour la prépublication d’une bande dessinée etc.

Sérénité

La périodicité trimestrielle permet de ne pas être esclave de l’air du temps. Les sujets sont proposés par les auteurs et c’est de cet arrivage que naît le thème de la revue. Selon Laurent Beccaria « nous portons notre regard sur la société par le bas et non par le haut, car nous croyons que c’est la feuille qui enferme l’arbre et non l’inverse ». Cette démarche empirique, donnant toute son importance au détail et presque zen est l’identité même d’une revue qui se refuse à faire du people ou à être moutonnière. Il s’agit de fuir le bourdonnement des dépêches s’accompagnant de celui des commentaires sur le web. En effet, plus nous sommes exposés à tout va à l’immédiateté et à l’abondance de l’information, plus le besoin de comprendre et de prendre du recul « sereinement » sur l’actualité se fait pressant.

Intelligence

XXI fait le pari de l’intelligence. Intelligence des lecteurs qui ne se satisfont pas d’une actualité réduite à l’«écume des jours». En effet, contrairement à la tendance actuelle, beaucoup apprécient les articles fouillés, originaux et éclairants. Intelligence des journalistes aussi, qui ont l’opportunité de ne pas céder aux sirènes des idées préconçues. Pour ce faire, ils disposent en amont du temps pour réaliser leurs reportages et en aval de l’espace pour en rendre compte. Pour Laurent Beccaria, « avec le diktat de la course contre la montre et la pression des patrons de presse, beaucoup de journalistes se sentent bridés. Ils sont déçus d’un métier souvent choisi par passion. » Aussi, XXI en renouant avec le journalisme d’ Albert Londres, redonne du plaisir à ces journalistes qui soignent le fond et la forme. Or ce plaisir se retrouve incontestablement dans la lecture. Et si l’intelligence rendait heureux ?

Subjectivité

XXI n’est pas un « journal institutionnel » ce qui ne l’empêche pas de traiter de sujets politiques à travers des reportages « racontant le monde tel qu’il est. » Ainsi, contrairement au précepte dominant de recherche à tout prix de l’objectivité, cette revue n’hésite pas à revendiquer le mot de « subjectivité ». Toutefois, la variété des contenus (BD’s, Photos, illustrations, etc.) n’influe en rien sur l’aspect journalistique de la revue qui souhaite « revenir à une base fondamentale du journalisme » car « Patrick de Saint-Exupéry demande aux dessinateurs, aux photographes comme aux écrivains de faire du journalisme » insiste Laurent Beccaria .

Tendresse

Si XXI rend euphorique ce n’est pas parce qu’elle chausse obstinément des lunettes roses, mais parce qu’elle n’est pas avare de tendresse envers ses sujets. Ici, point d’abstraction, mais des gens « tous mortels ». Cette humanité commune affleure et évite de surcharger des lecteurs de vociférations anxiogènes, plombant trop souvent les esprits et les coeurs. Dans la rubrique de XXI, « ils font avancer le monde », des témoignages de projets constructifs mis en œuvre par des personnes qui bougent le monde. Une lointaine parenté avec Reporters d’espoirs se dessine alors, car l’action est privilégiée au sentiment d’impuissance. Un contrepoint salutaire à nos Cassandres médiatiques.

Graphisme

21-3Loin des revues intellectuelles austères, XXI fait la part belle au graphisme. Cet atout considérable est dû en partie à la rencontre entre Laurent Beccaria et le rédacteur en chef Patrick de Saint-Exupéry . Les deux personnalités se sont en effet parfaitement accordées sur ce plan : « XXI a eu trois fées qui se sont penchées sur son berceau. La première c’est la présence d’un rédacteur en chef qui connaît le reportage de l’intérieur et adore la photo et la BD. La deuxième est l’expérience d’un éditeur qui travaille depuis dix ans sur le rapport texte/image. » Toutefois, la concrétisation de ce projet n’aurait pas été possible sans le travail des graphistes. C’est là qu’intervient la « troisième fée : les deux graphistes. Ceux-ci ont vite « intégré le fait qu’il existe des pages pour qu’ils s’expriment et des pages à lire. »

Format

Le format actuel de XXI n’a pas été imaginé dès ses origines. « Au départ, nous voulions faire un mensuel. Aussi, nous avions bâti avec Patrick de Saint-Exupéry un chemin de fer de 80 pages environ, à vendre en kiosque » raconte Laurent Beccaria . Toutefois, ils s’aperçoivent bien vite que la formule présente de nombreuses contraintes : trouver des annonceurs, mal rémunérer les auteurs. Laurent Beccaria rencontre tout de même des professionnels de la presse, mais les entretiens sont infructueux : « j’ai compris qu’ils étaient à mille lieues de nos préoccupations, qu’ils voulaient faire du plus court, du plus marketing, bref, qu’ils étaient dans une logique industrielle. » Il propose alors à son collègue une orientation considérablement différente : faire un trimestriel de 250 pages, vendu en librairie !

Reconnaissance

Le travail accompli par l’équipe de XXI fait l’unanimité à tous les niveaux. Malgré son coût relativement élevé – 15 euros – et sa périodicité délicate, la revue enregistre des chiffres de vente importants : 44 000 unités en janvier 2008, 37 000 en avril 2008, 44 000 pour janvier 2009. Mieux, tous les numéros ont été rentables – deux ont même dû être réimprimés – et le rythme des abonnements a déjà doublé depuis septembre 2008. Le public de XXI est hétéroclite (jeunes et moins jeunes, de toutes catégories professionnelles). Le monde du journalisme a lui aussi accueilli à bras ouverts l’initiative. De nombreux magazines sont venus saluer son succès, prouvant « qu’il n’y a pas d’hostilité vis-à-vis de XXI », tels que Rue 89, Télérama ou encore Challenges . La journaliste Anna Miquel a également obtenu le prix Louis Hachette pour son reportage « Les crocodiles du Zaïre » paru dans le numéro d’Automne. Cette réussite pourrait donc valider la thèse de Laurent Beccaria selon laquelle « les plus belles aventures de presse ont été spontanées, à l’instar de l’édition ».

Avenir

Mis à part un magnifique reportage dans le cahier central, il n’y a pas de photos dans XXI . Mais cela pourrait changer, Laurent Beccaria estimant, non sans prudence, que « la revue peut monter en puissance pendant encore cinq ans, la chose la plus difficile étant d’exister sur le plan trimestriel. » Dans un premier temps, l’objectif est de s’offrir le luxe de la sécurité, en constituant des réserves pour faire face à des variations de ventes d’un numéro à l’autre. Sinon, les investissements se concentreront sur la revue « pour travailler dans l’intensité, miser sur l’excellence ». Pas question d’appauvrir le trimestriel par une course aux produits dérivés ou une réduction du coût de l’abonnement. Malgré un succès notoire, l’heure n’est donc pas au triomphalisme, mais à la rigueur et à la recherche toujours plus grande de qualité. Des valeurs qui font parfois cruellement défaut dans la presse classique.

  Pour plus d'informations :
  Le blog de XXI : http://www.leblogde21.com/
Cet article a été écrit en collaboration avec Aqit (Association pour la Qualité de l’Information). Vous trouverez également ce texte sur le site de l’association. Il est également paru sur le site du webzine Discordance.

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