Gojira : sage colère

Publié le par Yves Tradoff

Voici certainement l’un des grands évènements métal de cette fin d’année : la plus connue des formations extrêmes françaises, Gojira, vient de sortir son cinquième album. A cette occasion nous nous sommes entretenus avec Mario Duplantier, le batteur du groupe.

 

gojira3 A travers vos déclarations, vous abordez fréquemment vos sentiments face à la musique que vous produisez et tout ce qui en découle (concerts, notoriété). En l’occurrence, quel était votre état d’esprit lorsque que vous avez composé ce disque. A t-il changé depuis?

Cet album sent un peu plus la colère et la spontanéité parce qu’on avait un peu moins de force. Il faut dire qu’on avait beaucoup tourné avant on était assez fatigué. Il nous aurait peut-être fallu trois mois de plus pour faire le vide. En même temps, on accepte ce qui se passe, on devait le faire à ce moment là. C’est une photographie du groupe à un instant T et c’est ce qui me plait. En général, on ne prémédite rien. Maintenant on a des limites qui s’appellent Gojira . On est dans un projet qui doit rester cohérent, ce qui implique qu’on ne peut pas se permettre de faire un album jazz ou ska. Toutefois, le périmètre Gojira est un vaste terrain de jeu, on peut se permettre plein d’autres choses.

Tu disais que vous aviez peut-être besoin d’un peu plus de temps pour composer. Doit-on en conclure que le fait d’avoir du succès a changé votre manière de faire de la musique ?

Notre manière de composer est toujours la même c’est-à-dire que l’on essaye toujours de faire des morceaux qui nous correspondent. Maintenant, on a la chance d’être musiciens professionnels. En conséquence, on a des dates à respecter si on veut pouvoir continuer à vivre de notre musique. On nous a dit, l’idéal, c’est que l’album sorte maintenant et on a joué le jeu. Tous les groupes qui veulent faire un projet sérieux sont face à cette situation.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur la thématique du disque et la signification de l’Artwork ?

C’est Joe qui écrit tous les textes donc c’est un peu délicat pour moi d’en parler. C’est une nouvelle fois un thème spirituel qui évoque la mort et l’hypothèse de l’après-mort. Cette réflexion amène à réfléchir à ce que l’on fait de notre propre vie. C’est aussi une manière de relativiser. En parlant de tout ça, mon frère s’est rendu compte de pas mal de choses. C’est une manière de prendre du recul par rapport aux fonctionnements des hommes en général ainsi qu’une voie vers plus d’humilité. Une partie de l’album parle de la planète. Avec l’intelligence humaine, on se rend compte qu’on est en train de faire vaciller le monde, notamment de polluer la terre. Joe parle de son incompréhension et de sa colère vis-à-vis de ça. Il ne dénonce pas, ce n’est pas manichéen, il constate simplement que le monde bascule. Ce n’est pas pour autant si négatif, c’est plutôt une forme d’exorcisme.

Tu as dit dans une autre interview que The way of all flesh était plus « dark » que ses prédécesseurs. Doit-on y voir les conséquences de vos nouveaux rythmes de vies ?

gojira4Bien sûr. On a toujours été plus ou moins marginaux dans Gojira . On n’a pas eu un boulot « classique » ce qui fait qu’on n’a pas connu certaines difficultés de la vie. Avec toutes ces tournées, on a été face à plein d’autres réalités. On a vu le monde dans tous ses états, ça nous a sorti de notre bulle. Mais finalement, c’est ce qui nous a rendu un peu plus solide. On ressemblait un peu à des guerriers sur la route essayant de défendre notre musique,et le nom du groupe. Il y avait un côté offensif dans notre démarche. En conséquence, l’album l’est également.

D’où est partie l’idée du featuring avec Randy Blythe, le chanteur de Lamb of god ?

On a fait 44 dates avec Lamb of god . On est devenu très amis avec Randy Blythe, qui a quasiment fait le forcing pour venir chanter sur notre album. On s’est dit, pourquoi pas? Ça fait aussi partie de cette phase d’ouverture où on arrête d’être dans notre cocon. Nous sommes désormais ouverts à de nouvelles expériences et Randy Blythe a fait partie de ça.
Ce featuring s’est fait très spontanément. Il a payé son billet d’avion, il a passé une semaine chez nous, il a chanté un jour avec mon frère et il est reparti. C’est aussi simple que ça. C’est également un hommage, car Lamb of god nous a boosté au États- Unis comme personne ne l’a fait. Ils ont parlé de nous dans toutes les interviews, ils nous invités sur leur tournée. Ils ont fait en sorte que le nom Gojira soit connu aux États-Unis.

Vous disiez rêver de tournées internationales, la réalité est-elle conforme à vos rêves ?

Personnellement, je m’attendais à ça. Ce qui me faisait rêver surtout, c’était les voyages. Et effectivement, on se déplace énormément, c’est vraiment la plus grosse partie des tournées. On monte sur scène une heure par jour et le reste du temps, on est immergé dans une autre culture. Le paramètre que je n’avais pas saisi, c’est qu’au niveau hygiène, ce n’est pas toujours facile. A côté de ça, c’est incroyablement épanouissant, ça nourrit et ça fait grandir de manière accélérée.

L’album a été pour partie enregistré, puis mixé et masterisé par Logan Mader (ex-guitariste de Machine Head). Vous avez également fait des tournées américaines. Estimez-vous que les États-Unis sont désormais un pays conquis ou allez-vous continuer à vous y concentrer. Dans le cas contraire quelle est votre prochaine étape ? Japon ? Europe du nord ?

On prend ce qui vient. Notre priorité n’était pas forcément les États-Unis, on a simplement eu des opportunités là-bas qu’on a saisies. Notre but, c’est de voir tous les pays du monde, de présenter notre musique à toutes les cultures. Personnellement, je rêverais de jouer au Japon. On en parlait avec les gars de notre label qui nous disaient qu’on n’avait pas assez développé l’Europe. Maintenant, le travail est loin d’être fini outre-Atlantique. On a vendu 30 000 disques alors que des groupes comme Lamb of god en vendent 500 000. En bref, on a un buzz aux U.S mais pas encore de succès. Évidemment, on sait que les États-Unis résonnent sur l’ensemble du monde. Quand un groupe fonctionne là-bas, il a plus de chances de fonctionner ailleurs. On va essayer de travailler harmonieusement partout. On constate que beaucoup de pays d’Europe ne nous connaissent pas comme l’Allemagne, l’Italie etc.

Justement, peut-être peut-on mesurer ce succès à travers les médias que vous avez côtoyés. Dans ceux-ci, il y a t-il eu beaucoup de demandes émanant de l’Amérique du nord ? Quid de l’Europe et de la France?

50 à 60% des interviews ont été faites aux États-Unis. En Angleterre également, il y a eu un gros buzz .

Vous faites plus d’interview aux U.S.A qu’en France ?

gojira_pictures_band-2Non, non, en France, tous les médias nous supportent. C’est simplement que les États-Unis sont beaucoup plus vastes, il y a donc plus de magazines, plus de webzines. Forcément, ça paraît plus imposant. On ne couvre pas le territoire américain comme on couvre le territoire français. Sur cet album, ça commence à prendre dans toute l’Europe notamment dans des pays où notre musique ne marchait pas auparavant.

Pourquoi ne pas avoir mis la reprise d’ Escape de Metallica sur votre disque ? La discographie de Metallica est très vaste, j’imagine que vous avez du hésiter longtemps avant de choisir ce titre.

En fait, c’est mon frère qui, après avoir écouté Ride the lightning, a proposé qu’on reprenne Escape . Le but n’était pas de faire une reprise de Metallica, simplement de reprendre ce titre pour s’amuser. C’était un extra qu’on ne voulait pas mettre sur l’album.

Votre état d’esprit – très évoqué décidément – a tout autant marqué que votre musique, brisant l’équation death-métal = Satan, le mal etc. A contrario, votre statut de groupe écologiste et humaniste n’a t-elle pas été une barrière vis-à-vis des autres formations métal dont beaucoup sont très portées sur l’image ? Plus généralement, que pensez-vous de cette scène ? Est-t-elle sectaire ou au contraire ouverte ?

Je trouve le death métal hyper-positif dans le sens où c’est un style qui brise des tabous. Certes, c’est gauche et étourdi par moment mais je trouve que les gens qui font ce style ont l’honnêteté de parler de leurs démons. Parler de Satan se rapproche de la spiritualité, du questionnement sur le bien et le mal, je vois ça comme un exorcisme que beaucoup de gens devraient pratiquer. Cela ferait moins de gens frustrés et sous antidépresseurs. Gojira fait partie de la même famille. Les thèmes touchent à l’âme, à l’homme, ce sont des sujets existentiels comme ceux abordés par les autres groupes de death métal. Le point commun entre nous tous est un besoin d’exploser, une forme d’extrémisme et d’hypersensibilité.

Après 5 albums avec Gojira, il y a-t-il des chances de faire naître ou renaître des side-projects ? Joe a déjà commencé avec Cavalera Conspiracy mais qu’en est-t-il des autres membres du groupe ?

J’aimerais que nos side-projects se fassent au sein de Gojira, c’est-à-dire qu’on crée de nouveaux concepts avec le même groupe. Cavalera Conspiracy, c’est une parenthèse qui a durée quinze jours : dix jours de studio à Los Angeles, deux jours de promos à Paris et un clip. Notre but, c’est de voir tous les pays du monde, de présenter notre musique à toutes les cultures. Avec Gojira, on a fait la musique d’un film en noir et blanc, Mascistes aux enfers . On aimerait faire un DVD incluant le film – on essaie de récupérer les droits. Je vois l’avenir comme ça, à savoir s’épanouir au sein de Gojira . C’est mon souhait profond, péter les barrières, faire des albums qui sortent du métal en conservant la patte Gojira .

Gojira – The way of all flesh

gojira_flesh_cover-2 Gojira est un groupe au parcours sans fautes. Son death métal allié à son attitude clairement positiviste a réussi à mettre tout le monde d’accord, de Terra Incognita à From mars to sirius . Mieux, il a permis de montrer aux autres pays férus de musique extrême que l’on pouvait compter sur la scène française. C’est donc avec une impatience non dissimulée que de nombreuses personnes attendaient ce disque.

Soyons clair, le nouveau méfait du groupe n’a rien de réellement nouveau. La patte Gojira qui a fait son succès est toujours très marquée dans The way of all flesh . Son statut de groupe phare l’a toutefois amené à laisser de côté ses aspects aériens, voir mystiques, pour un métal plus terre à terre. Les chansons sont plus efficaces, plus spontanées. Les interludes relaxants dont le groupe s’est fait une spécialité sont toujours là mais en nombre très réduit – un seul en tout et pour tout. Bref, tout est fait – volontairement ou non – pour plaire à la frange majoritaire des métalleux.

Les autres dont je fais partie auront tendance à être légèrement déçus par le classicisme de ce disque. L’apparition de Randon Blythe ( Adoration for none ), chanteur de Lamb of god, confirme cette tendance à aller vers plus d’efficacité. Elle n’apporte d’ailleurs pas grand-chose de bon à ce disque. Cependant, il convient de ne pas tomber dans un manichéisme forcené. Même si on compte moins de très bons riffs, moins d’envolées planantes, la personnalité du groupe le fait toujours ressortir largement de la masse.

Au final, le résultat est honorable tout en laissant un peu sur sa faim ceux qui, comme moi, avaient tendance à idéaliser la formation landaise.

Merci à Mario de Gojira, à Jess de Listenable Records pour avoir organisé ce phoner ainsi qu’à Yoann et M’rej pour avoir fourni le matériel d’enregistrement.

Pour plus d'informations :

Site web du groupe : http://www.gojira-music.com/
Myspace officiel de Gojira : http://www.myspace.com/gojira

Cet article a été publié le 15 octobre 2008 sur Discordance.fr


Publié dans Culture

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