De Rawicz à Hollywood : la vérité du goulag est ailleurs

Publié le par Yves Tradoff

Si Les chemins de la liberté est effectivement inspiré d’un témoignage, Peter Weir a volontairement pris ses distances avec le récit très controversé, A marche forcée. Un autre exemple qui invite à se méfier du célèbre « d’après une histoire vraie ».

 

A marche forcée  

Les chemins de la liberté est, comme qui dirait, construit sur un ancien cimetière indien. Ses origines remontent à 1956 et la publication d’un livre, A marche forcée.  Celui-ci a été écrit par Slavomir Rawicz en collaboration avec un journaliste anglais, environ dix ans après les faits. Cet ouvrage va connaître un succès mondial. Dès 1957, il est traduit en français aux éditions Albin Michel.

L’ouvrage va connaître une longue série de controverses jusqu’aux années 2000. Les premières critiques concernent les erreurs géographiques qu’il comporte et les performances incroyables qui y sont décrites, comme la traversée du désert de Gobi sans eau ou presque. Un autre passage a retenu l’attention : il s’agit de celui où Slavomir Rawicz assure avoir aperçu un yéti quelque part en Himalaya. Quoi qu’il en soit, il sera difficile d’en savoir plus sur l’auteur et son histoire puisque Slavomir Rawicz va se murer dans le silence jusqu’à sa mort, en 2004, à Londres.

Dans les années 2000, des journalistes de la BBC enquêtent sur l’ouvrage. Ils en concluent que Slavomir Rawicz n’a pas pu effectuer le périple dont il se targue, compte tenu du fait qu’il a été libéré du goulag en 1942 suite à l’amnistie générale qui a touché les soldats polonais. Or, Rawicz raconte dans son ouvrage le détail de son évasion, qu’il situe entre 1941 et 1942. En outre, les archives évoquent comme cause d’emprisonnement le meurtre d’un officier du NKVD alors que l’auteur évoque comme facteur d’emprisonnement une affaire supposée espionnage. Enfin, un individu du nom de Witold Glinski l’accuse d’avoir repris sa propre histoire suite à la découverte d’un manuscrit à l’ambassade de Pologne à Londres, durant la guerre.

goulag Si Peter Weir s’est effectivement inspiré du récit conté dans A marche forcée, il a préféré prendre de très nombreuses libertés compte tenu des controverses présentées plus haut. Aussi, le nombre de personnages, leurs profils, la préparation de l’évasion sont fort différentes de celles décrites dans A marche forcée. Les lieux de tournage (Bulgarie, Maroc, Inde) ne correspondent pas aux lieux évoqués (Sibérie, Mongolie, Tibet, etc.) et le film est volontairement dédié aux individus – dont les noms ne sont pas cités – qui ont réellement vécu une histoire du genre. Même les noms des personnages ne correspondent pas à ceux du livre. Il est donc nécessaire de prendre un certain recul quant à la caution historique du film (et le fameux « d’après une histoire vraie« ), comme celui du récit qui l’a inspiré.

Réédité aux éditions Phébus en 2002 sous une nouvelle traduction, le récit d’A marche forcée a perdu sa puissance de par les polémiques qui l’ont terni. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les éditeurs ont publié un autre témoignage sur le même thème en 2004, Aussi loin que mes pieds me portent de Josef Martin Bauer.

De Rawicz à Hollywood : bibliographie/filmographie

1) Slavomir Rawicz, A marche forcée : A pied du Cercle polaire à l’Himalaya (1941-1942), Phébus, 2002.

Cet ouvrage est une nouvelle traduction du fameux récit de Slavomir Rawicz publié en 1956.

2) Sylvain Tesson, L’axe du loup, Robert Laffont, 2004.

L’aventurier-vagabond Sylvain Tesson parcourt la route décrite dans l’ouvrage de Slavomir Rawicz.

3) Joseph Martin Bauer, Aussi loin que mes pas me portent : La Traversée de l’Asie d’un fugitif allemand évadé du Goulag, 1949-1952, Phébus, 2004

Cet autre témoignage d’évasion publié par les éditions Phébus est décrit dans la préface comme « l’enfant » d’A marche forcée.

4) Les Chemins de la Liberté, 2004. Avec Sylvain Tesson. Réalisé par Nicolas Millet. Durée : 52 minutes.

La caméra de Nicolas Millet suit le périple de Sylvain Tesson sur les traces des évadés du goulag.

5) Les chemins de la liberté, 2011. Avec Jim Sturgess , Ed Harris et Collin Farrell. Réalisé par Peter Weir. Durée : 2h14.

Il s’agit de la version hollywoodienne du récit de Slavomir Rawicz.

Cet article a été publié le 2 février 2011 sur le site www.discordance.fr

Publié dans Société

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