Salon de la mort : ne crevez pas n’importe comment!

Publié le par Yves Tradoff

Introduction : un pied dans la tombe

La mort est omniprésente dans la vie. Que ce soit aux informations, au cinéma ou dans nos assiettes, les macchabées sont partout. Il est courant cependant d’éviter soigneusement les questions techniques qui ont rapport au décès : « Finalement, toi, tu préfères te faire enterrer ou te faire brûler ? Ouais, moi aussi. Et tu penses qu’il y a une vie après la mort ? Ouais, non, je ne sais pas, mais c’est pas con, j’irai voir ce site, etc. »

L’idée des deux organisateurs du Salon de la mort, Jean-Pierre Jouet et Jessie Westenholz, était de rassembler tout ce qui se fait de mieux en matière de décès. Les créateurs de ce salon, à qui l’on doit déjà la FIAC, le Salon du livre ou le Salon Nautique, ont visé juste : on trouve bien plus de candidats à la Grande Faucheuse que de lecteurs assidus ou de mordus de planche à voile. Et c’est donc au cours de cette première mondiale que les acteurs de ce secteur ont ouvert leurs portes à l’homme de la rue afin que celui-ci ne soit pas dépourvu le jour où un semi-remorque lui passera dessus. 25 000 visiteurs étaient attendus, avec comme cœur de cible ceux qui « souhaitent s’informer sur les choix, préparer les étapes et anticiper les décisions nécessaires, mais qui souhaite également réfléchir, échanger, partager ». Cela va du « service ante mortem et morterm » jusqu’au service « post-mortem » que ce soit sous les angles « médicaux, économiques, juridiques, culturels et philosophiques » (1)

Qu’il s’agisse de débarrasser, embellir, enterrer ou masquer ces carcasses imbouffables. Qu’il s’agisse de régler (ou non) toutes ces questions si bassement matérialistes qui ne manquent pas de se poser. Qu’il s’agisse de communiquer le plus efficacement sur ce sujet délicat ou qu’il s’agisse de vous alléger de la perte d’un être cher (ou peut-être pas autant que ça finalement), chaque situation possède toute une palette de services appropriés.

Discutons un peu de la mort, voulez-vous

Désacraliser la mort, briser le tabou ? OK, allons visiter la mort et sa clique de businessmen. Vivons la mort comme la politique, sans complexe, en short et en baskets. Et puis, plutôt que de profiter du soleil en sirotant une mousse, allons nous enterrer au Carrousel du Louvre. Ça n’entamera pas pour un sou notre joie de vivre.

« Bonjour, je suis pisse-copie pour Discordance.fr, ouais-ouais. Vous ne connaissez pas ? Ça doit être pour ça que je ne suis pas payé. » On me fait remplir une fiche avant de me filer un badge presse. En le regardant de plus près, je me rends compte que ce petit accessoire devait initialement être accroché au chemisier de Muriel de Testament Obsèques (on voit encore les lettres à la lumière). À tout hasard, je chipe les tarifs des Carnets du jour du Figaro. Pour annoncer le décès de son grand-père, comptez 23 euros la ligne en semaine, 26 le week-end. Et comme il est exigé un minimum de 10 lignes, il va falloir crever en silence, papy. L’opération se veut nettement plus rentable si l’on est célèbre : on laisse ses biftons reposer sagement dans son portefeuille et on décroche la Une. Avec un peu de ténacité, on se fait même bien plus de pub que de son vivant. C’est une sacrée paire de manches que de se repérer dans ce salon. Difficile de choisir entre le Bar de la Veuve, le stand de l’école occidentale de méditation et celui des chocolats rock’n’roll de la firme Deadlicious. Bien sûr, on peut faire simple et visiter tous les fringants employés qu’on s’attend à voir ici : marbriers, assureurs, fonctionnaires, directeurs d’école, les associatifs, les maquilleurs post-mortem en passant par les militants du don d’organe et j’en passe. En tout, il y a près d’une centaine de stands ou on vend tout et n’importe quoi.

Le premier stand qui m’interpelle est celui de Souvenirs à la lettre. Cette nouvelle boite fait partie des messagers de la postérité à l’instar de Movie Eternity. Elle propose de réaliser un « abécédaire de votre vie » en vidéo – on choisit une lettre, un mot et on blablate dessus. J’attends pour tester le machin quand l’artillerie lourde se pointe, une équipe de M6 en l’occurrence. Ils font causer le réalisateur, Jean-Michel Kuess, sa collègue, Véronique Maurey et une bonne dame, Stéphania, qui vient de résumer sa vie en trois lettres. La Genevoise semble tout émue à l’idée que ses proches puissent la voir à la télé alors qu’ils ne savent pas qu’elle est là. Je regarde le travail du caméraman, du journaliste et de la jeune stagiaire collégienne. Je griffonne en même temps mes trois lettres et mon texte. Le journaliste veut recueillir mon témoignage au passage, ce à quoi je lui réponds que je cherche aussi à faire parler les autres. (1) Bref, le cirque est fini et c’est mon tour. Je rentre dans le studio de tournage/montage. On ferme le rideau rouge derrière moi pour conserver mon intimité bien cachée. Le technicien s’affaire à monter Stéphania pendant que Jean-Michel me met en boite. Les spots m’étouffent et la caméra m’oppresse, si bien que je me rate lamentablement à la première prise. On plie l’affaire en vingt minutes. En visionnant le résultat chez moi, il semblerait que j’ai bien fait de ne pas parler à M6.

Je feuillette des prospectus sur la mort en mangeant un sandwich infect qui pourrait — tout est possible — sonner ma fin. Même en y réfléchissant sérieusement, difficile de déterminer les causes qui feraient que le grand public se déplace pour un tel salon. Pour Véronique Maurey, « les gens viennent ici pour prendre conscience du fait que la mort se prépare. Elle fait partie de la vie ». Un pied dedans, un pied dehors en somme. Stéphanie et Marlène, deux visiteuses curieuses, ne « s’attendaient pas à un salon qui soit aussi classique et commercial. Quand il a été présenté dans les journaux, il était présenté sous un angle comique, avec son point d’exclamation. En venant ici, on s’aperçoit que c’est plutôt un salon de professionnels. » Ceux qui sont faciles à attirer, ce sont surtout les journaleux. Ça n’a pas raté, les couloirs en sont pleins. Jeux de mots faciles, évènements insolites, cela augure un boulot simple pour un rendu foncièrement attractif. D’ailleurs, beaucoup de titres de presse sont présents au Salon de la mort (Le Figaro, Psychologie Magazine, La Vie, Funéraire Magazine, Gazette Santé Social, etc.). À quand un salon de la mort (de la presse) ?

Mon portefeuille me gratte sévèrement. Il faut se rendre à l’évidence, je ne peux pas mourir avant d’avoir trouvé un vrai travail. Il ne me resterait plus qu’à me faire enterrer dans le jardin d’un pote pour servir de fertilisant à ses plants de tomates. Après tout dépend de la formule : « Ça dépend de ce que souhaite la personne. Il y a beaucoup de paramètres, ce qui fait que, sur une même région, le prix peut fortement varier » note Charles Simpson, fondateur d’Obsèques Infos. La mort est un marché, figurez-vous, avec tout ce que cela implique. Il y a les riches, qui peuvent se payer des urnes de luxe chez Chevillard Phénix. Alors que les pauvres devront d’abord faire un tour sur les comparateurs de prix (Obsèques infos) pour savoir, si oui ou non, leur famille devra se séparer de leur dépouille dans une benne.

Nos chers cadavres font l’objet des mêmes révolutions sociétales que nous autres. Il y a tout d’abord la révolution numérique qui permet de gérer sa mort ou celles des autres derrière son écran. Il devient très simple en effet de comparer les prix des crémations, faciliter son deuil via des associations, s’occuper de la postérité. Bien sûr le développement durable a également fait son apparition : des cercueils en carton chez AB Crémation, pourrir au creux d’un arbre plutôt que d’avoir une vue imprenable sur un horizon bétonné.

Mourir, oui, mais pourquoi ?

Finalement, y-a-t-il une vie après la mort ? Est-ce que mon tonton me voit là-haut alors que je m’affaire à fumer des joints dans le grenier ? Mais j’en sais rien, bon Dieu. Les seules personnes à le savoir n’ont pas été invitées, malgré la popularité dont ils jouissent présentement. Pas un zombie en miettes dans les couloirs, un type qui traîne ses intestins derrière-lui ou une poupée qui te gerbe du sang au visage à chaque fois qu’elle te dit « cerveau ».

Prenez-le pour dit, certaines personnes peuvent se révéler nettement plus utiles mortes que vivantes. C’est ce dont je prends conscience en discutant avec un membre de l’association France Adot. Elle me parle de la loi « scélérate » qui régit le don d’organe. Correction, ça commence déjà vivant. On peut vous reprendre moelle osseuse, rein, peau, fragments osseux et lobe hépatique et lobe pulmonaire (3).

La douloureuse pour les morts : cœur, foie, rein, poumon, pancréas, os et cartilage, corné, peau et l’Intestin. Je dis oui, mille fois oui mais attention : qu’on ne me refoute pas le cœur si c’est pour le placer dans le corps de n’importe qui. Mouammar par exemple, vous pouvez le laisser crever dans son bunker pitoyable en le montrant du doigt, rire bien fort et basta. Et puis, j’ai horreur des gens. Je ne vais pas me mélanger à eux alors que j’ai déjà des difficultés à prendre le métro calmement.

Quoique, la mort est un outil de sociabilisation fabuleux. En passant devant le stand de l’Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires (INREES), je croise le zigue qui accompagnait Amélie Nothomb à la séance de dédicace de la librairie Comme un roman (Chatou, Yvelines). Il me reconnaît et me serre la pince, malgré ses dix kilos de bague. Le mec a un parcours cahoteux et halluciné. Diplômé d’une école d’ingénieur, il décide d’ouvrir une galerie d’art. Il joue ensuite au poker et remporte une mise immense. Il sortira un roman sur le sujet, No Limit. Aujourd’hui, il vient présenter son deuxième bouquin, Lucie dans le ciel, qui traite des « psychédéliques ».

Croyez-moi, la mort ne se refuse pas. Alors, quitte à l’adopter, autant l’essayer avant. Ca tombe bien, à deux pas du stand où un type maquille consciencieusement un masque à visage humain, un cercueil est planté là avec la mention « essayez-moi ». Je m’allonge dedans devant un public qui sourit comme s’il avait affaire à un clown dans une fête foraine. On renferme, enfin la paix. Mes pieds dépassent un peu mais c’est plutôt confortable. Alors, la mort ? Bof, ça n’a pas l’air bien différent de la vie.

Notes

(1) Les citations entre guillemets sont issues du dossier de presse.

(2) Ils garderont une seule image diffusée en sommaire du journal.

(3) Moelle osseuse, donneurs familiaux ou non. Rein : entre proches du cercle familial. Lobe hépatique et lobe pulmonaire : exceptionnellement précise le site. La cornée, c’est la partie transparente du globe oculaire, située devant l'iris. L’intestin, on vous le prend rarement.

La mort est-elle un tabou ? [Encart]

Jean-Michel Kuess, réalisateur : « je pense que la mort est encore un tabou. C’est notamment à cause de la déspiritualisation de la société. Je pense que les pratiquants juifs, musulmans et ou chrétien ont plus de facilité à aborder les choses. »

Tom Verdier, écrivain : « je pense que la mort est un tabou dans notre société, ce qui est représentatif de la façon dont on essaye de rendre tout le monde parfaitement « adolescent ». C’est un des symptômes d’une société qui n’est pas adulte. »

Élisa, employé chez OGF (services funéraires) : « je pense que le tabou qui entoure la question de la mort vient plus de la part des professionnels que du public. Les gens sont assez réceptifs à ce sujet. »

Crédit photo : Eva E. Davier

Cet article a été publié le 15 avril sur Discordance.

Publié dans Société

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